malléable, aléatoire - Group show: Paris
« Malgré tout, combien d’êtres nous quittent et se quittent eux-mêmes avant de disparaître ? ». Dans cette question rhétorique, nous retrouvons les raisons qui incitent la philosophe Catherine Malabou à mobiliser la plasticité neuronale - soit la capacité des neurones à se reformer graduellement après leur disparition comme une sorte d’auto-réparation inépuisable - telle une possible analogie à l’esthétique en philosophie. Ainsi, Catherine Malabou propose d’envisager la créativité comme une capacité de transformation, de destruction, de hasard et d’imprévisible, alors que la philosophie étudie traditionnellement la forme et la matière dans leurs aspects figés et finis. C’est un tout autre conditionnement de l'œuvre, accidentée ou aléatoire, qui nous intéresse ici.
La part gâchée de la matière serait le résultat de ce que C. Malabou nomme la « plasticité destructrice » dans laquelle « la forme vivante, apparaît finalement dans son évidence, au prix de leur disparition ». Pour créer la forme, une autre forme existe, puis est éliminée. Comme le moule, le plan, ou le rituel, usuellement conçus comme des étapes de la création, considérés tel le négatif d'une photographie, jetés si inexploitables. Des espèces de déchets qui trahissent notre conception systémique du réel et peut-être, de ce que l’on considère être vrai, ou beau.
Dans leur travail, les artistes utilisent la création comme une stratégie de négociation avec le réel pour proposer des discours alternatifs ou en évolution. Sortir des marges, déconstruire des pans de l’histoire considérés comme acquis, panser les corps hybrides, se saisir des codes pour les contredire, c’est en cela que la plasticité, malléable et aléatoire, répond à certaines problématiques contemporaines posées par les artistes.
Les œuvres de Lise Thiollier sur l'énergie, de Hugo Servanin et de Ranti Bam sur l'hybridation et les jonctions, abordent la matière et le corps dans leurs dimensions les plus critiques. Tenter de travailler avec le vivant c’est aussi en accepter la faille mouvante. C’est également ce dont les performances de Nina Bernagozzi se nourrissent, littéralement dans la peinture et l’abstraction à travers notre consommation de nourriture. Les un.e.s défient l’inertie, les autres soumettent l'œuvre aux stigmates du hasard, ou encore proposent de nouvelles narrations collectives. C’est notamment ce qui se trouve au cœur du travail de Chedly Atallah sur la révolution en Tunisie ou dans l’installation de Samuel Nguyen qui propose de nouvelles possibilités à l’habitat et aux communs.
En quête de leur propre histoire pour en offrir une version plus universelle, les artistes sèment le trouble dans des œuvres instables et mutables dont les métamorphoses offrent une alternative à ce que chacun.e pensait connaître du monde. Dans l’exposition, la plasticité remet en cause la formation de l’évènement, prend le pli des techniques, les contreforme, laissant place à l'inconnu.
Andréhn-Schiptjenko is pleased to welcome you to the opening of malléable, aléatoire, a group-show curated by Chloé Bonnie More featuring works by Chedly Attalah, Ranti Bam, Nina Bernagozzi, Samuel Nguyen, Hugo Servanin and Lise Thiollier. The opening takes place, in the presence of the artists on Thursday January 12th between 6-9 pm.
"In spite of everything, how many beings leave us and themselves before disappearing? In this rhetorical question, we find the reasons that incite the philosopher Catherine Malabou to mobilize neuronal plasticity - the capacity of neurons to gradually reform after their disappearance as a kind of inexhaustible self-repair - as a possible analogy to aesthetics in philosophy. Thus, Catherine Malabou proposes to consider creativity as a capacity for transformation, destruction, chance and unpredictability, whereas philosophy traditionally studies form and matter in their fixed and finite aspects. It is a completely different conditioning of the work, accidental or random, that interests us here.
The wasted part of the matter would be the result of what C. Malabou names the "destructive plasticity" in which "the living form, appears finally in its evidence, at the price of their disappearance". To create the form, another form exists, then is eliminated. Like the mold, the plan, or the ritual, usually conceived as stages of the creation, considered like the negative of a photograph, thrown if unusable. A kind of waste that betrays our systemic conception of reality and perhaps, of what we consider to be true, or beautiful.
In their work, the artists use creation as a strategy of negotiation with reality to propose alternative or evolving discourses. To leave the margins, to deconstruct parts of the history considered as acquired, to dress the hybrid bodies, to seize the codes to contradict them, it is in that the plasticity, malleable and random, answers certain contemporary problems posed by the artists.
The works of Lise Thiollier on energy, Hugo Servanin and Ranti Bam on hybridization and junctions, approach the material and the body in their most critical dimensions. To try to work with the living is also to accept the moving fault of it. This is also what Nina Bernagozzi's performances feed on, literally in painting and abstraction through our consumption of food. Some challenge inertia, others subject the work to the stigma of chance, or propose new collective narratives. This is notably what lies at the heart of Chedly Atallah's work on the revolution in Tunisia or in Samuel Nguyen's installation that proposes new possibilities to the habitat and the commons.
In search of their own history in order to offer a more universal version, the artists sow the seeds of trouble in unstable and mutable works whose metamorphoses offer an alternative to what everyone thought they knew about the world. In the exhibition, plasticity questions the formation of the event, takes the fold of techniques, counterforms them, leaving room for the unknown.
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Installation view, 'malléable, aléatoire', Andréhn-Schiptjenko, Paris, France, 2023
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Installation view, 'malléable, aléatoire', Andréhn-Schiptjenko, Paris, France, 2023
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Installation view, 'malléable, aléatoire', Andréhn-Schiptjenko, Paris, France, 2023
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Installation view, 'malléable, aléatoire', Andréhn-Schiptjenko, Paris, France, 2023
Samuel Nguyen
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Ranti Bam, IFA (T3), 2022
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Ranti Bam, KOJOPO, 2022
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Hugo Servanin, Géant 14, 2022
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Hugo Servanin, Géant 15, 2022
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Chedly Atallah, La parabole des aveugles, 2023
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Samuel Nguyen, Fragment d'expo de rêve d'Hai-Son: moelleux, 2023
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Lise Thiollier, Forces invisibles, 2022
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Lise Thiollier, This desert was once a sea, 2021